Foottit et Chocolat/fr

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Foottit and Chocolat.jpeg

Clowns

Par Dominique Jando


Foottit (souvent orthographié par erreur Footit) et Chocolat furent, au tournant du XXe siècle, des étoiles parisiennes de tout premier plan ; ils étaient les clowns vedettes du très élégant Nouveau Cirque de la rue Saint-Honoré. Foottit et Chocolat sont souvent reconnus comme les créateurs du duo traditionnel clownGeneric term for all clowns and augustes. '''Specific:''' In Europe, the elegant, whiteface character who plays the role of the straight man to the Auguste in a clown team./augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown. qui devint la norme dans le cirque européen du XXe siècle, mais cela peut être contesté : ce titre de gloire devrait être plus justement attribué à leurs rivaux au Nouveau Cirque, Pierantoni et Saltamontès. Foottit et Chocolat eurent néanmoins un rôle primordial dans le développement de l’art clownesque européen pendant cette période, et ils en personnifient encore aujourd’hui une étape importante.

George Foottit

George Foottit (1864-1921) est né le 24 avril 1864 à Manchester, en Angleterre, où le cirque de son père avait fait étape. Il a été dit que le nom réel de Foottit père était Theodore Hall (souvent orthographié par erreur Tudor Hall, une approximation phonétique), mais cette identité a été contestée par ses descendants directs. En tout état de cause, Foottit père était connu, tout comme son fils, sous le nom de Geo (George) Foottit (?-1874), et il s’était produit au Théâtre de Drury Lane, à Londres, sous le nom de Funny Foottit—un clown traditionnel de théâtre, dans le style de Joseph Grimaldi.

Foottit (c.1895)
George senior créa plus tard son propre cirque ambulant et, en 1867, il s’associa avec les écuyers Anthony Powell et Alfred Clarke pour lancer le Powell, Foottit & Clarke’s Great Allied Circus. Malheureusement, Geo Foottit senior avait un redoutable penchant pour la bouteille et ses ivresses chroniques poussèrent Powell et Clarke à dissoudre leur association au milieu de la saison 1868. Foottit père récupéra les chevaux et le matériel qu’il avait investis dans l’entreprise, et reprit la route seul sous l’enseigne Foottit’s Allied Circus. (Powell et Clarke continuèrent leur fructueuse association en Irlande, sans Foottit.)

George Foottit Junior débuta en piste à trois ans, dans une version miniature du personnage clownesque de son père, sous la tutelle duquel il fut entrainé à l’acrobatie. Il avait huit ans en 1872 quand ses parents l’envoyèrent à Arnold College près de Nottingham, pour améliorer l’éducation rudimentaire que lui avait offerte un musicien du cirque en plus de ses leçons de musique. Les études académiques de George Junior ne durèrent pas longtemps : lorsque son père succomba à une cirrhose du foie deux ans plus tard, sa mère, Sarah (née Crockett), estimant peut-être que son fils ne courrait plus de risques, le retira du collège et le ramena au cirque familial.

Sarah Foottit se remaria l’année suivante avec un mari plus sobre, l’écuyer Thomas Batty, qui reprit la direction du cirque. Le jeune Foottit apprit la voltige équestre, avec son beau-père et devint rapidement un acrobate à cheval compétent—de même qu’un bon acrobate et fil-de-fériste. Sarah était apprentée aux Sanger, et elle envoya George chez son oncle, le légendaire « Lord » George Sanger, dont le cirque était de loin le meilleur et le plus grand établissement du Royaume-Uni. Les écuries de Sanger étaient particulièrement importantes, et le jeune Foottit continua son éducation équestre chez son oncle. En 1882, à dix-huit ans, il quitta le cocon familial et commença à travailler indépendamment comme acrobate équestre.

On était encore dans l’âge d’or du cirque équestre, et les acrobates à cheval étaient nombreux ; bien que Foottit fut un écuyer compétent, il n’avait pas un talent exceptionnel dans ce domaine et son apparence physique (il était plutôt trapu et n’avait pas un visage attrayant) ne pouvait pas compenser ses limitations techniques. Après un peu plus d’un an dans la carrière avec un succès médiocre, George Foottit revint à sa toute première spécialité : il débuta comme clown à Bordeaux, en France, au Cirque Continental où il avait travaillé originellement avec son numéro équestre.

Débuts clownesques

Foottit (c.1890)
Les clowns de cirque, à l’époque, étaient des artistes aux talents spécifiques, notamment des sauteurs et des acrobates—talents que Foottit avait développés depuis l’enfance. Ils exerçaient ces talents sous une apparence excentrique, en les agrémentant d’humour verbal. Ils faisaient aussi des parodies de numéros plus sérieux. En ce qui concernait l’humour parlé, Footit avait un handicap apparent : il avait un contrôle très limité de la langue française. Mais le public français trouvait ses tentatives verbales plutôt drôles, et riait de bon cœur à ses erreurs de langage dans un accent anglais prononcé. Son handicap devint un atout, et le clown Foottit connut vite le succès.

Malheureusement, le Cirque Continental fit faillite, et George Foottit dut rentrer en Angleterre. Il trouva un engagement avec le Hollander’s Great International Circus, qui se produisait pour la saison de Noël sur la scène du Théâtre Royal de Covent Garden à Londres. Dans son propre pays, Foottit ne pouvait pas compter sur ses égarements linguistiques et son accent anglais pour se faire remarquer, et il était en compétition avec une armée de clowns : toujours en grand nombre dans les cirques anglais (et américains), ils se livraient une concurrence constante pour essayer de sortir du lot.

Cependant, Foottit avait déjà goûté au succès et, pour se démarquer de ses rivaux, il décida de présenter ce qu’aucun d’eux ne pouvait se permettre (à moins qu’ils eussent été, comme lui, des acrobates à cheval) : une parodie de l’écuyère à panneau(French) A flat, padded saddle used by ballerinas on horseback.—la traditionnelle écuyère romantique. Beaucoup de ces écuyères avaient capturé les cœurs des hommes du monde venus les applaudir, et certaines d’entre elles étaient d’authentiques vedettes qui attiraient de nombreux admirateurs autour des pistes. En maquillage clownesque, vêtu d’un élégant tutu orné de broderies et de paillettes, esquissant de gracieux pas de danse sur le panneau(French) A flat, padded saddle used by ballerinas on horseback. fixé sur le dos de sa monture, Foottit offrait une image particulièrement réjouissante—et il avait aussi les aptitudes nécessaires pour la rendre plausible.

Foottit obtint un grand succès avec sa parodie, et son numéro devint vite très demandé en Europe. Il fut engagé à l’Hippodrome de l’Alma à Paris, dans un spectacle dont la vedette était James Guyon, le premier augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown. vu en France. L’augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown. était un nouveau venu sur les pistes de cirque ; l’écuyer Tom Belling avait créé le personnage au cirque Renz de Berlin vers 1869. Au contraire du clownGeneric term for all clowns and augustes. '''Specific:''' In Europe, the elegant, whiteface character who plays the role of the straight man to the Auguste in a clown team., un personnage stylisé au maquillage plutôt abstrait et au costume très distinctif dont les origines remontaient au Moyen Âge, l’augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown. ne se reposait plus sur des talents physiques ou un costume bizarre pour provoquer le rire : il était fondamentalement humain, un joyeux idiot, un Monsieur Tout-le-monde mis dans des situations absurdes et embarrassantes qui se transformaient en sujets de comédie. Le public s’attacha au personnage immédiatement car il se retrouvait en lui.

Le Nouveau Cirque

Bien qu’un clown traditionnel, Foottit obtint son succès habituel avec sa parodie de l’écuyère ; en 1886, il se vit offrir un contrat pour l’ouverture du tout nouveau Nouveau Cirque, qui venait d’être construit au cœur de Paris, rue Saint-Honoré, à deux pas de la Place Vendôme. Parmi les artistes de la compagnie se trouvait un clown célèbre (lui aussi Anglais), Tony Grice, mais Foottit l’éclipsa rapidement. Quatre ans plus tard, George Foottit était le clown vedette du Nouveau Cirque—qui était vite devenu le haut lieu des distractions Parisiennes.

Foottit (1901)
En 1890, Foottit fit la une des journaux parisiens. La grande tragédienne Sarah Bernhardt (1844-1923) jouait Cléopâtre dans la pièce éponyme de Victorien Sardou et, comme d’habitude, elle obtenait un succès considérable. Le jeu scénique démesuré, conventionnel à l’époque, de « la reine de l’attitude et princesse des gestes » (comme l’avaient surnommée ses admirateurs) invitait irrésistiblement la parodie—notamment la grandiloquence tragique de la longue scène de la mort de Cléopâtre—et Foottit sauta sur l’occasion. Sa caricature était irrésistible : La Sarah-Cléopâtre de Foottit, avec son ample perruque rousse, sa robe couverte de bijoux et son serpent fatal en caoutchouc, qui n’en finissait pas de mourir avant de finalement ressusciter, devint vite un sujet de conversation dans les salons parisiens. (Dans cette scène, Chocolat jouait un esclave, et Saltamontès était Marc-Antoine.)

Nombreux furent ceux qui, dans l’entourage de la tragédienne, étaient outragés—notamment son auteur, Victorien Sardou—et l’affaire tourna au mini scandale parisien : on ne se moquait pas ainsi de la « divine » Sarah ! Finalement, Sarah Bernhardt décida de juger par elle-même et se rendit au Nouveau Cirque. Une authentique superstar et une diva en tout points, elle fit une entrée(French) Clown piece with a dramatic structure, generally in the form of a short story or scene. tardive et remarquée avec sa suite, pratiquement interrompant le spectacle quelques instants avant que Foottit n’apparaisse en piste. Le public se figea dans un silence appréhensif lorsqu’à l’entrée(French) Clown piece with a dramatic structure, generally in the form of a short story or scene. de Foottit-Cléopâtre, Madame Sarah lança un péremptoire « Clown, fais-moi rire ! » dans sa direction—ce qui aurait paralysé facilement jusqu’au plus talentueux des comiques. Mais Foottit ne broncha pas et se lança dans sa parodie. Madame Sarah ne put s’empêcher de rire. Non seulement le scandale se dissipa immédiatement, mais l’étoile de Foottit, qui était déjà brillante, monta au firmament.

Foottit aimait les travestis féminins, avec lesquels il remportait toujours un grand succès. Il développa au cours des ans une vaste galerie de personnages qu’il avait inaugurée avec sa parodie de l’écuyère de panneau(French) A flat, padded saddle used by ballerinas on horseback.. De toute évidence, le contraste entre son apparence physique rugueuse et la grâce que demandaient ses rôles féminins était une source naturelle de comédie. Il allait aussi contre le grain de la personne familière qu’il était en clown : un individu autoritaire mais lâche, agressif et violent, que ses échecs inévitables rendaient ridicule. En piste, le clown Foottit était un personnage grimaçant et dénué de grâce ; le voir donc incarner une charmante jeune femme semblait tellement incongru qu’on ne pouvait qu’en rire. C’était de la comédie facile, mais dans laquelle Foottit excellait et qu’il était heureux d’embrasser.

Chocolat

Chocolat (c.1910)
Les origines de Chocolat (1868 ?-1917) se perdent dans un brouillard d’incertitudes. D’après son acte de décès, qui fut établi avec les informations données par Georgey Foottit, le fils de George Foottit, et Charles Barbier (le clown Bob O’Connor), il s’appelait Rafael Padilla et il avait soi-disant quarante-neuf ans lorsqu’il mourut en 1917. Cependant, Tristan Rémy, le grand historien du cirque et des clowns, maintenait que ni Chocolat, ni son fils, Eugène Grimaldi (alias Chocolat Fils), n’avaient mentionné ce nom de famille de leur vivant. Grimaldi était le nom de famille de Marie (née Hecquet, 1866-1925), la femme de Chocolat ; il lui venait d’un précédent mariage. Marie (qui n’avait jamais épousé Chocolat légalement) se présentait toujours comme Madame Raphaël Chocolat (et, après la mort de Chocolat, Veuve Chocolat), et Chocolat lui-même disait n’avoir aucun document relatif à son identité. (Rafael et Marie eurent aussi une fille, Suzanne, qui mourut dans son enfance.)

Quel que fût son nom légal—si toutefois il en avait un—Rafael était le fils d’une esclave africaine de La Havane, à Cuba, où il était né aux environs de 1868 (si l’on en croit son acte de décès). Il avait été élevé par une autre esclave avant d’être acheté par un riche marchand antillais, un Señor Castaño, qui avait un comptoir à Bilbao, en Espagne. La mère de Castaño avait une maison à Sopuerta, près de Bilbao, où son fils plaça Rafael à son service. Au bout de quelque temps, Rafael s’échappa et exerça divers petits métiers pour survivre, de porteur de fardeaux à mineur de fond. Quand il avait du temps libre, Rafael présentait des exercices de force ou dansait dans les cafés de Bilbao pour quelques pesettes.

C’est là que le clown Tony Grice le découvrit, aux environs de 1884. Rafael avait quelque chose qui attira son attention : il était amusant, il était noir (et donc « exotique »), il avait de bonne qualités physiques, et il était jeune (Rafael avait peut-être seize ans à l’époque). Tony Grice, qui était un des clowns vedettes du Cirque Price de Madrid, offrit à Rafael de devenir son assistant et apprenti ; en échange, il serait nourri, logé et blanchi (si l'on peut dire !), et recevrait un peu d’argent de poche. Rafael accepta, et se joignit à Tony Grice et son partenaire portugais Tonyto—un autre apprenti qui allait devenir le talentueux clown Tonitoff. Il fut immédiatement surnommé Chocolat, une invective raciste qui était considérée innocente en cette époque coloniale.

Débuts parisiens

La Noce de Chocolat (1887)
Chocolat fit ses débuts parisiens au Nouveau Cirque avec Tony Grice en 1886. Grice présentait une reprise(French) Short piece performed by clowns between acts during prop changes or equipment rigging. (See also: Carpet Clown) pour laquelle il était célèbre, celle du « Maître de manège, » dans laquelle Chocolat et Tonyto animaient un cheval de toile. Ainsi le légendaire Chocolat apparut pour la première fois dans la capitale française dans le rôle des postérieures et du postérieur d’un cheval de fantaisie. Rafael Chocolat n’était pas seulement l’apprenti de Tony Grice, il était aussi son serviteur dans la vie privée. Au cours du banquet qui avait suivi le baptême d’un nouveau-né dans la famille Grice, Chocolat renversa une saucière sur la robe de Madame Grice. Tony Grice, furieux, le renvoya sur le champ.

Foottit, qui était un des invités, trouva que la réaction de Rafael à son infortune ne pouvait s’empêcher d’être comique—comme tout ce que faisait le maladroit Chocolat. Chocolat était un comique naturel, et Foottit, qui voyait son potentiel, alla voir Raoul Donval, le directeur du Nouveau Cirque, et le convainquit d’engager Chocolat indépendamment de Tony Grice—ce que fit Donval. Chocolat s’avéra vite un excellent augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown., quoique difficile à discipliner, et servit de partenaire non seulement à Foottit, mais aussi à Pierantoni et à Geronimo Medrano, qui avait été engagé par le Nouveau Cirque en 1887.

Chocolat acquit rapidement une grande popularité. En plus de son emploi d’augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown. auprès de plusieurs clowns, il participait aux pantomimes aquatiques qui étaient l’exclusivité du Nouveau Cirque et le distinguaient nettement de ses compétiteurs. (Le Nouveau Cirque est le tout premier cirque qui ait été équipé d’une piste nautique, un extraordinaire achèvement technique à l’époque.) Dès 1887, Chocolat se vit donner le rôle titre d’une pantomimeA circus play, not necessarily mute, with a dramatic story-line (a regular feature in 18th and 19th century circus performances). comique à grand succès, La Noce de Chocolat, construite autour de son personnage d’augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown., et dans laquelle toute la noce finissait dans l’eau—un final incontournable dans ce genre de spectacle. La Noce de Chocolat connut de nombreuses reprises dans les années qui suivirent.

Comme il arrive souvent, c’est un heureux hasard qui définit l’apparence scénique de Chocolat. Le dernier chic pour les dandies parisiens de l’époque était d’agrémenter leur habit de soirée de culottes « à la française » noires avec bas de soie, et d’une veste à queue-de-pie rouge (à la façon des « toastmasters » anglais). Chocolat, qui était d’un naturel grégaire et agréable, s’était fait beaucoup d’amis dans la bohème parisienne—Toulouse-Lautrec entre autres—et participait activement à la vie nocturne de la capitale.

Un jour, il se présenta au Nouveau Cirque en tenue de soirée à la mode, avec culotte noire, cravate blanche, habit rouge, et haut-de-forme. Tout le monde s’accorda à penser que sa tenue, qui, en tant que telle, semblait déjà saugrenue à beaucoup, était particulièrement cocasse sur lui ; en conséquence, le costume fut adopté et devint partie intégrante de l’image de l’augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown. Chocolat—et le restera bien après que cette mode vestimentaire eut passé.

Foottit et Chocolat

Foottit & Chocolat (c.1895)
Vers 1890, Foottit fit de Chocolat son partenaire attitré. Il suivit en cela l’exemple du duo clownGeneric term for all clowns and augustes. '''Specific:''' In Europe, the elegant, whiteface character who plays the role of the straight man to the Auguste in a clown team./augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown. formé par Pierantoni et Saltamontès dont la complémentarité était parfaite et qui obtenait un grand succès. Il y avait une importante différence cependant entre leur association et le duo formé par Foottit et Chocolat. En piste, Pierantoni et Slatmaontès avaient une grande complicité, une relation plutôt fraternelle ; celle de Foottit et Chocolat était plus nettement démarquée, Foottit y apparaissant comme un personnage autoritaire et dominant, et Chocolat comme sa victime.

Ce contraste, à l’époque, semblait normal dans une relation biraciale : le Noir était supposé être asservi à son maître blanc, qui était soi-disant doté d’une intelligence supérieure. (En 1884, pour justifier le colonialisme, le Président du Conseil Jules Ferry avait déclaré : « les races supérieures ont un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… ») Mais la conception de l’art clownesque qu’avait Foottit doit être aussi prise en considération : Pour George Foottit, le clown reflétait la méchanceté de la nature humaine.

Il a beaucoup été dit sur la relation entre Foottit et Chocolat par les historiens de cirque, et au cours des ans, la sensibilité moderne lui a donné un aspect purement manichéen, où Foottit est le constant tourmenteur du pauvre Chocolat—qui en est réduit à l’emploi de « celui qui reçoit des gifles. » S’il est vrai que Foottit était autoritaire dans la piste comme dans la vie, les documents filmés qui nous sont parvenus ne montrent pas Chocolat en victime passive ; il tournait souvent la situation à son avantage, et dans ses glorieux moments de revanche, il ridiculisait Foottit. Et là se trouvait le moteur de la comédie.

La contribution de George Foottit à l’Art clownesque

Chocolat établit ainsi un aspect distinct de la nouvelle définition de l’augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown. dans sa relation avec le clown : l’augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown. provoque le rire en se moquant de l’autorité—fusse-t-elle celle du clownGeneric term for all clowns and augustes. '''Specific:''' In Europe, the elegant, whiteface character who plays the role of the straight man to the Auguste in a clown team., du maître de manège, ou l’autorité plus abstraite des conventions sociales. Ce qui est en fait ce que le clown était supposé faire à l’origine.

Cependant le clownGeneric term for all clowns and augustes. '''Specific:''' In Europe, the elegant, whiteface character who plays the role of the straight man to the Auguste in a clown team., par son apparence physique et son attitude, était l’équivalent d’un bouffon de cour ; il était en fait un étranger dont la différence—son costume excentrique, son maquillage abstrait—créait un fossé entre lui et les spectateurs. Il ne faisait pas vraiment partie de la communauté. L’augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown., au contraire, était l’un de nous, une entité familière. Le public lui offrit immédiatement sa sympathie. Peu à peu, le clownGeneric term for all clowns and augustes. '''Specific:''' In Europe, the elegant, whiteface character who plays the role of the straight man to the Auguste in a clown team., malgré son costume excentrique (et de plus en plus flamboyant) et son maquillage irréel, deviendra le faire-valoir de l’augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown., ce dernier portant la plupart de la responsabilité comique.

Foottit & Chocolat in Le chef de gare (1907)
En tout état de cause, on doit à Foottit un véritable changement du style de la comédie clownesque Européenne, dont la spécificité sera adoptée par un nombre sans cesse croissant de tandems clownGeneric term for all clowns and augustes. '''Specific:''' In Europe, the elegant, whiteface character who plays the role of the straight man to the Auguste in a clown team./augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown.(s). La nécessité, plus qu’une intention délibérée, fut à l’origine de cette évolution. Lorsqu’ils travaillaient en équipe les clowns se reposaient souvent sur un répertoire de saynètes à la structure élastique qui venaient des « lazzis » des baraques foraines, ou avaient été empruntées à la Commedia dell’arte—la plupart datant du Moyen Âge et au delà. Les clowns les adaptaient à leur époque, ou de façon à traiter des sujets d’actualité. Il n’y avait rien d’écrit, mais l’improvisation était contrainte par les grandes lignes de l’histoire, aussi mince fut-elle.

Mais avec Chocolat, Foottit se trouvait face à un problème : Chocolat était imprévisible et avait très peu de discipline en piste ; ses improvisations devaient être surveillées de près, au risque de le voir s’y perdre et être incapable de retrouver le fil de l’action. Pour éviter ce problème, son partenaire, quel qu’il fut, devait être un meneur de jeu efficace et aussi un improvisateur agile, capable de regagner rapidement le chemin de l’action originale ; d’une façon générale, ce talent d’improvisation devait être verbal, car le dialogue était un élément essentiel de ces sketches—aussi bien comme vecteur d’information que comme source d’humour.

Malheureusement, Foottit n’était pas à l’aise dans l’improvisation verbale en français. Pour résoudre ce problème il dota le vieux répertoire qu’il jouait avec Chocolat de structures plus cohérentes qui rendaient les scenarios et leurs situations comiques plus clairs et mieux définis. Étant donné que les histoires n’étaient pas écrites, l’improvisation restait nécessaire, mais elle pouvait être mieux endiguée par un canevas désormais clairement établi (et soigneusement répété).

Ainsi Foottit et Chocolat développèrent un répertoire familier et bien affiné de ce qui deviendra connu sous le nom d’entrées clownesques. (Le terme vient de l’annonce, dans les programmes imprimés, de « l’entrée(French) Clown piece with a dramatic structure, generally in the form of a short story or scene. » des clowns en piste—le mot se transformant au fil du temps en définition de ce qu’ils y faisaient.) Foottit et Chocolat rendirent ces canevas—ou entrées—extrêmement populaires, et bien d’autres clowns en empruntèrent les nouvelles versions établies par Foottit et les adaptèrent à leurs propres personnalités—enrichissant ainsi le matériel en cours de route. Ces entrées seront constamment réadaptées au fil des ans pour s'ajuster à l’époque, et d’autres seront inventées.

Une différence apparut de ce fait entre les « clowns d’entrée(French) Clown piece with a dramatic structure, generally in the form of a short story or scene. »—une combinaison clownGeneric term for all clowns and augustes. '''Specific:''' In Europe, the elegant, whiteface character who plays the role of the straight man to the Auguste in a clown team./augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown.(s)—et les clowns ou augustes de reprise(French) Short piece performed by clowns between acts during prop changes or equipment rigging. (See also: Carpet Clown), qui interprétaient de courts sketches (reprises), visuels ou parlés, entre les différents numéros d’un programme—comme ils l’avaient fait depuis que Philip Astley avait inventé le cirque moderne. Foottit et Chocolat ont été les catalyseurs de cette évolution.

La fin d’une époque

Foottit et Chocolat aux Folies-Bergère (1902)
Foottit et Chocolat étaient incontestablement les étoiles du Nouveau Cirque, et avaient souvent le rôle vedette dans ses pantomimes à succès. La parodie de Sarah Bernhardt par Foottit faisait partie de l’une d’elles, la revue À la cravache, et Chocolat avait le rôle-titre de l’inépuisable La noce de Chocolat, qui fut ravivée pour la dernière fois en 1907. Cette même année, le célèbre auteur, librettiste et poète Franc-Nohain (1872-1934) écrivit Les mémoires de Footit (sic) et Chocolat.

En dépit de tout cela, Foottit et Chocolat commencèrent à s’éloigner l’un de l’autre avec l’arrivée du XXe siècle : Foottit voulait travailler avec ses fils, Thomas (Tommy), George (Georgey) et Harry. Il voyait en eux ses héritiers dans l’art clownesque, et pensait qu’il affineraient leurs talents à son contact et le remplaceraient. C’était faire preuve d’optimisme : comme il arrive souvent lorsque les fils sont supposés hériter les talents de leur célèbre géniteur et assumer sa succession, aucun des fils du grand Foottit n’eut de succès notable après avoir quitté l’ombre de leur père.

En 1902, Foottit était le meneur de jeu de la première revue présentée par les Folies Bergère—la première d’une longue série qui rendra ce théâtre mondialement célèbre. Chocolat avait aussi un petit rôle dans cette revue. Foottit et Chocolat retournèrent au Nouveau Cirque à intervalles réguliers, en dépit de plusieurs changements de direction : leur pouvoir d ‘attraction(Russian) A circus act that can occupy up to the entire second half of a circus performance. était toujours intact. Mais il ne formaient plus un duo permanent ; bien qu’ils apparaissaient comme tel dans des entrées et des pantomimes, ils se produisaient aussi avec d’autres partenaires (avec ses fils, dans le cas de Foottit).

Le célèbre directeur Hippolyte Houcke, qui avait été pour un temps à la tête du Nouveau Cirque, les emmena en tournée ; mais ils n’obtinrent pas en province le succès qu’ils avaient à Paris. En 1909, les deux partenaires furent les vedettes de deux pantomimes écrites pour chacun d’eux : Foottit réserviste et Chocolat aviateur (c’était l’année du vol historique de Louis Blériot au-dessus de la Manche). Ce fut leur chant du cygne. En 1910, lorsque le Nouveau Cirque rouvrit ses portes pour la saison 1910-1911, Foottit et Chocolat n’étaient plus à l’affiche: Ils étaient au Cirque de Paris, dont Hyppolite Houcke avait pris la direction, mais Foottit avait aussi amené ses fils et, sur les affiches, Chocolat apparaissait derrière eux.

Puis Foottit partit en tournée avec ses fils et son propre cirque, et Chocolat se retrouva dans une situation précaire : sans Foottit (avec lequel il était resté en bons termes), il avait du mal à trouver des engagements. Il réussit à obtenir un petit rôle dans Moïse, une pièce d’Edmond Guiraud donnée au Théâtre Antoine en 1910, mais ce fut une expérience éphémère : il retourna vite à l’art clownesque.

Les dernières années de Foottit

Chocolat avait commencé à travailler avec son fils, Eugène, au Nouveau Cirque sous le nom de Tablette et Chocolat, mais bien qu’Eugène fut un clown compétent, Chocolat était perdu sans Foottit. Quant à ce dernier, son pouvoir d’attraction(Russian) A circus act that can occupy up to the entire second half of a circus performance. et sa vitalité scénique s’étiolèrent lorsqu’il quitta Chocolat. Les deux anciens partenaires étaient sur la pente du déclin. Pourtant, leur statut de légendes vivantes était maintenu et amplifié par la presse et l’intelligentsia parisiennes—mais légendes ils étaient d’un temps révolu, ce qui leur faisait bien sûr plus de mal que de bien. Les Parisiens se souvenaient des années glorieuses de leur duo ; séparément, ils n’étaient autres que des reliques vivantes de « la Belle Époque, » qui était en voie de disparition.

George Foottit dans Fièvre (1921)
L’expérience du Cirque Foottit ne dura pas longtemps : s’il avait été une célébrité parisienne, il n’était pas vraiment connu dans les provinces françaises. Pendant la première guerre mondiale, il se produisit pour les troupes au Théâtre aux Armées. En 1916, il participa à une revue de Rip (Georges-Gabriel Thenon, 1884-1941), L’école des civils, au Théâtre de l’Athénée à Paris. On ne connaît pas sa réaction à la mort de Chocolat en 1917, mais sentiments personnels mis à part, on peut penser que Foottit y vit la fin d’une époque. Après la guerre, en 1920-21, il joua le rôle d’un clown philosophe écrit spécialement pour lui par Maurice Verne dans Les Mille et Une Nuits, une pièce produite par le grand metteur-en-scène Firmin Gémier (1869-1933) au Théâtre des Champs-Élysées.

Mais Foottit, désillusionné, avait commencé à boire. Il n’avait cependant pas le vin heureux, et il devint de plus en plus difficile de compter sur lui : il avait été incapable de mémoriser proprement le peu de texte qu’il avait dans Les Mille et Une Nuits. Ses incursions au théâtre n’eurent pas beaucoup de succès ; le public venait voir principalement une curiosité. Foottit joua aussi en 1921 le rôle de « l’homme au chapeau gris » dans le film muet de Louis Delluc, Fièvre, dans lequel il personnifiait, dans le café où se déroulait l’action, un joueur de cartes saumâtre, désabusé et ivrogne —un rôle qui ne lui allait que trop bien.

George Foottit avait ouvert un petit bar à Paris, avenue Montaigne, qui était en fait sa principale source de revenus. Sa dernière apparition publique fut dans un des spectacles que le célèbre couturier Paul Poiret (1879-1944) donnait pour le Tout-Paris tous les vendredis dans son jardin, qu’il avait baptisé l’Oasis. Foottit y parodia une danseuse de Degas—un lointain souvenir de ce que fut jadis sa glorieuse imitation d’une écuyère de panneau(French) A flat, padded saddle used by ballerinas on horseback.. Il mourut chez lui, 6 avenue Montaigne, le 29 avril 1921. Il n ‘avait que cinquante-sept ans. Il n’était pas oublié, et la presse lui consacra de longues et flatteuses eulogies, dans lesquelles il était salué comme le plus grand clown de sa génération. Il fut enterré au cimetière du Père Lachaise à Paris, où sa tombe est toujours visible.

L’héritage de Chocolat

Chocolat dans une publicité pour le Bon Marché (c.1895)
En dépit de son immense popularité et l'extraordinaire impact qu'il eut comme le plus célèbre augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown. de Paris, Chocolat n’avait pas l’éventail de talents de Foottit, et n’ayant jamais reçu d’éducation formelle, il n’avait aucun sens des affaires. Sa carrière après le Nouveau Cirque, qui avait été pour lui un refuge confortable pendant tant d’années, fut plus un combat pour survivre que toute autre chose. Il accepta tout ce qui lui était offert à n’importe quel prix—pour peu qu’il pusse au moins nourrir sa famille.

Il travailla surtout avec des cirques ambulants en province—où son nom était peut être connu, mais pas nécessairement ses talents d’augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown.. Pour un temps, son fils lui servit de partenaire, mais leur duo ne connut pas le succès, et Eugène alla continuer sa carrière avec d’autres augustes (notamment le grand Porto). Comme Foottit, Chocolat était devenu alcoolique. Le 4 novembre 1917, un dimanche, à dix heures trente, alors qu’il était en engagement avec le Cirque Rancy pour la foire de Bordeaux en compagnie de Georgey Foottit et Bob O’Connor, Chocolat mourut soudainement d’un arrêt cardiaque dans sa chambre d’hôtel.

Toulouse-Lautrec fit de nombreux sketches, dessins et peintures de Chocolat (comme de Foottit), Colette le mentionna dans son roman Gigi, les frères Lumière le filmèrent avec Foottit dans un des premiers films jamais tournés, son personnage d’augusteIn a classic European clown team, the comic, red-nosed character, as opposed to the elegant, whiteface Clown. fut utilisé dans une profusion de publicités, du chocolat (évidemment) aux grands magasins, en passant par un peu de tout, il fut caricaturé dans les magazines parisiens, dans des chromos et des découpages pour enfants, et il fut même immortalisé par une expression populaire : « être chocolat. »

Cependant son décès, à la différence de Foottit, ne fit pas la une des journaux ; Chocolat n’était qu’un nègre rigolo, après tout… Pour ajouter à son infortune, il fut enterré dans la section réservée aux indigents au cimetière protestant de Bordeaux. Mais il aura eu quand même le dernier mot : on se souvient aujourd’hui mieux de lui que de son partenaire, George Foottit. En 2012, il fut simultanément le sujet d’un livre, Chocolat, clown Nègre, de Gérard Noiriel, d’une pièce du même titre mise en scène par Marcel Bozonnet, et d'un film, Chocolat (2016), adapté de la pièce et dirigé par Roschdy Zem, avec Omar Sy dans le rôle titre et James Thierée dans celui de Foottit. Et il y a toujours de nombreux francophones qui se trouvent, à un moment ou un autre, « complètement chocolat ! »

Pour en savoir plus

  • Franc-Nohain, Les Mémoires de Footit et Chocolat, illustrées par René Vincent (Paris, Editions Pierre Lafitte,‎ 1907)
  • Tristan Rémy, Les Clowns (Paris, Bernard Grasset, 1945 — réédité en 2002) — ISBN 2-246-64022-9
  • Gérard Noiriel, Chocolat, clown nègre: L’histoire oubliée du premier artiste noir de la scène française (Paris, Editions Bayard, 2012) — ISBN 978-2-2274-8271-5
  • Gérard Noiriel, Chocolat: La véritable histoire d'un homme sans nom (Paris, Editions Bayard, 2015) — ISBN 978-2-227-48617-1

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